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Témoignage d'un Infirmier en Psychaitrie

 

 

 

Témoignage d’un Infirmier                                                   Le 24 avril 2012
 
En France, l’année de l’autisme 2012, les recommandations de la Haute Autorité de Santé pour l’accompagnement et les bonnes pratiques, l’interdiction d’un documentaire Le Mur sur « La Psychanalyse à l’épreuve de l’autisme » de Sophie Robert, rappellent la place prépondérante des idées psychanalytiques dans le champ de la psychiatrie et de la pédopsychiatrie.
 
Les voici telles que je les ai vues appliquées, lorsque j’ai travaillé en psychiatrie pendant une dizaine d’années. Avec une période d’intérim, cinq hôpitaux ; soit au total une vingtaine de structures intra ou extra hospitalières m’ont permis de fréquenter une trentaine de psychiatres ou de pédopsychiatres, une dizaine de psychologues, et de nombreux collègues de toutes les branches paramédicales et sociales.
 
Les usagers, leur entourage, le public n’ont pas accès aux réunions, aux commentaires des soignants. Il me paraît aujourd’hui nécessaire de montrer ce qui s’est révélé à moi au fil des rencontres.
 
Les séquences suivantes sont retenues pour leur caractère répétitif et révélateur de l’impact que les choix thérapeutiques peuvent avoir sur la vie des personnes.
 Il ne s’agit pas d’un bêtisier.
 Les faits rapportés ici concernent des professionnels reconnus, certains sont experts auprès des tribunaux. Je les considère également comme des personnes cohérentes et respectables.
 
Il m’est apparu que la tolérance et l’utilisation de diagnostics différentiels compatibles avec les mêmes signes préservaient un vivier de d’erreurs et de souffrances : les relations avec les usagers et leur entourage, comme les actions à déterminer varient du tout au tout en fonction de l’orientation médicale et paramédicale, selon qu’elle soit psychanalytique ou cognitive et comportementale.
 
Voici ces séquences :
 
Une unité dite de « patients chroniques » en psychiatrie générale adulte est tenue par une succession de médecins à orientation psychanalytique depuis l’ouverture de l’hôpital.
 18 mois après l’arrivée du premier médecin à orientation cognitive comportementale, après reconsidération des diagnostics, avec des traitements adaptés, les deux tiers de l’effectif a pu réintégrer un logement et une vie sociale à l’extérieur. Certains étaient hospitalisés pour des psychoses depuis 11, 23 ou 31 ans alors qu’il s’agissait de Troubles Obsessionnels Compulsifs, troubles de l’humeur, Troubles du Spectre Autistique…
 
Dans un autre service, un homme hospitalisé depuis l’âge de 18 ans pour « dysharmonie évolutive » est sorti à 35 ans sans modification du diagnostic, uniquement grâce à un collègue qui a eu l’idée de photographier avec lui les itinéraires pour qu’il puisse aller travailler.
 Sortie en moins de six mois.
 
Ailleurs un psychiatre oriente systématiquement  les réunions de synthèses sur la « forclusion du non(m ?) du père ». Il refuse les infirmières avec lui en entretien, garde les patientes entre 4 et 6 minutes dans son bureau, et les patients entre 30 à 40 minutes. « L’homosexualité refoulée des patients » est le « diagnostic » associé aux psychoses et schizophrénies qui revient le plus souvent dans son discours.
 
En Centre Médico-Psychologique, un psychologue me confie en fin de carrière :
 « Vous savez Olivier, finalement, la psychothérapie [psychanalytique], c’est surtout utile pour nous les soignants ».
 
Un autre psychologue, formé de la même façon et également très expérimenté, considère ses repères théoriques : « Je n’écris rien sur les dossiers, j’écris seulement « entretien ». On ne sait pas comment cela peut être utilisé, et chacun peut penser ce qu’il veut selon la perception de ce qu’il entend. […] »
 
Au cours d’une évaluation sociale hors secteur psychiatrique à l’occasion d’une procédure de divorce, la garde de l’enfant est en jeu. La mère subira un signalement : une psychologue en relation avec l’enquêteur social interprètera un défaut de prononciation de son enfant comme corrélé à la maîtrise de multiples langues étrangères de la mère. « Votre enfant est perturbé dans son identité langagière. Il a besoin de se construire et pour cela il lui faut son Père. » La psychologue demandera que la garde soit attribuée au père alors que la mère fournit les preuves d’un comportement psychopathique chez ce dernier.
 A l’initiative de la mère, le défaut de prononciation de l’enfant sera identifié comme une anomalie anatomique par une orthophoniste et confirmé par un O.R.L. Il faudra en plus d’un avocat, des démarches en haut lieu, un soutien spécialisé, et 18 mois pour rétablir la situation.
 
Une autre mère verra son enfant confié en famille d’accueil à l’issue de la première journée d’hospitalisation motivée par une crise de son enfant au domicile : le médecin écrit Troubles Envahissants du Développement (T.E.D) pour le dossier administratif de la Maison Départementale des Personnes Handicapées, mais parle de « dysharmonie » à la mère.  Il se justifie oralement  par un « risque de maltraitance du fait de cette pathologie ».
 Elle signalera, pendant ses visites autorisées de façon espacées, des effets secondaires préoccupants dûs à une prescription de neuroleptique. Démarche qui restera lettre morte. Le médecin qualifiera la mère « d’hystérique contre tout traitement ».
 Avec de l’aide sur un forum autisme, et la rencontre à l’arrachée avec un pédopsychiatre différent, la mère retrouvera ses droits et ceux de son enfant. Il lui aura fallu 5 mois et dynamisme sans faille.
 
De multiples questions se posent : en quoi une famille d’accueil est-elle susceptible d’être moins sujette à maltraiter un enfant dont la pathologie induirait un risque de maltraitance ?
 La mère n’est pas coupable, ni responsable de la pathologie, n’est-ce pas ? Où s’agit-il d’un double discours ?
 
L’évènement suivant a été rendu public. Je le mentionne ici sans y avoir été confronté directement, car il est représentatif de nombreux remaniements de traitements que j’ai constaté lors d’hospitalisations qui remettaient des diagnostics précédents en cause.
 Le diagnostic initial était rétabli, ou un diagnostic associé était ajouté mais n’excluait pas le premier, ou encore un problème physique était venu interférer et était diagnostiqué a posteriori :
 
 
 
Une autre mère retrouve son enfant hospitalisé pour bilan, après quelques jours : le médecin ayant interdit les visites. Il a prescrit un neuroleptique pour des « hallucinations » alors que le diagnostic de T.E.D est déjà posé. Le caractère obsessionnel des idées envahissantes était médicalement établi auparavant. La mère remarque des effets secondaires massifs non traités dans l’unité, exige une consultation. Elle sort ensuite son enfant contre avis médical.
Comment faire quand on ne peut pas payer le privé ?

 
 Pendant plusieurs mois, un pédopsychiatre en Centre Médico-Psychologique pour enfant fait une lecture personnelle d’une « problématique familiale ». Il adopte la lecture systémique (étude des relations interpersonnelles familiales). Malgré un signalement pour blessure sur un des enfants communiqué par les Urgences, malgré les antécédents du père, connu d’un autre département, il n’y aura pas d’enquête.
 Le père aura droit à un article dans un journal régional tant les sévices qu’il infligeait à ses enfants étaient variés.
 Le calvaire des enfants s’arrêtera grâce à l’intervention d’une personne non qualifiée et non mandatée pour ce rôle.
 
Une unité de psychiatrie générale : un psychiatre qui consulte trois demi-journées par semaine réserve depuis une petite dizaine d’année une demi-journée pour l’entretien avec une femme hospitalisée souffrant de schizophrénie : elle a rendez vous à 14h00. Elle est souvent en retard d’une heure ou deux. Il l’attend. Parfois elle ne vient pas. Interrogé à maintes reprises sur cette monopolisation horaire pendant que d’autres patients réclament des entretiens ou que des paramédicaux signalent des problèmes, il répondra de plusieurs façons : « Ce qui est important c’est l’espace qu’on lui laisse. » […] « Sa mère ne lui a pas laissé la place nécessaire c’est à nous d’arranger ça » […] « Il est hors de question de sacrifier sa maladie sur l’hôtel de la rentabilité ». Le médecin pose sa montre sur le bureau. Le temps est suspendu. C’est le « temps thérapeutique ».
 Rien dans l’anamnèse, ni dans le contact avec la mère, ni dans les interactions observées entre la mère et la fille ne laissent supposer une maltraitance ou une négligence.
 
Un psychiatre qui travaille à la réinsertion de détenus nous déclare en réunion que « Les murs de la prison, c’est quand même ce qu’il y a de plus contenant pour les psychotiques. »
 L’idée selon laquelle une schizophrénie relève de déficits de l’image corporelle symboliquement mal construite à la vie dure. L’héritabilité génétique comme le caractère neuro-développemental du trouble sont ignorés.
 À chaque fois qu’une personne avec une schizophrénie, un trouble de l’humeur, une psychose hallucinatoire chronique, etc, est allée en prison, son état s’est aggravé. L’un d’entre eux a appris des techniques d’agressions alors qu’il n’en avait ni le profil, ni les motivations, ce qui a considérablement entravé son retour à la vie courante.
 

Synthèse de l’observation d’une psychomotricienne sur le comportement d’un adulte avec autisme, en isolement pour accès de violence depuis plusieurs années : « Entend ce qu’il veut bien entendre. »
 Dans sa formation, comme dans beaucoup d’autres, l’autisme est décrit comme une position au monde, un refus de contact avec le monde extérieur.
 
Presque partout ailleurs dans le monde, les Troubles du Spectre Autistique sont reconnus comme un déficit neuro-sensoriel, un trouble neuro-psychologique issu d’un développement différent du cerveau qui perturbe les perceptions sociales, la communication, et amène à des intérêts restreints.
 
Dans un Centre Médico-Psychologique, un enfant vient accompagné par sa mère pour des cauchemars récurrents. À quatre ans et demi, il parle comme un enfant de 8 ans et joue avec l’ordinateur de son père.
 Un unique entretien entre la mère, le médecin chef et le psychologue se solde par : « J’ai pensé à un Asperger pour le petit mais elle [la mère] n’est pas froide, elle dégage même un truc sexy. Tu as vu comment elle s’occupe de lui dans l’ascenseur. »
 L’enfant sera admis à l’hôpital de jour sur la base de ses dessins, interprétés en réunion : « c’est clair ça, on voit qu’il a sa place ici, [et il appuie] avec nous. »
 En synthèse, nous n’aurons pas d’autre précision. L’enfant n’a ni problème de communication, ni de trouble dans l’interaction sociale. Il n’est pas agressif avec les autres ou envers lui-même. Il est plutôt attentif et joyeux, n’a pas de problème à l’école où la mère dit qu’il s’ennuie. Il sera déscolarisé pour venir à l’hôpital de jour.
 Il tentera de faire jouer les autres enfants pendant d’autres réunions.
 
Alain se brûle la peau sur un radiateur en fonte parce qu'il y est perché en permanence. Il est nu parce qu’il mange ses vêtements, qu'il déchire en lambeaux.
 Une collègue démarche l'administration : il fait 13°C dans sa chambre la nuit. La nuit précédente, lui est descendu à 36°C. L’administration tarde à allumer le chauffage.
 Un autre collègue dit : « […] tu sais ils sont quand même différents, ils [ne] ressentent pas les choses comme nous. »
 Brain storming avec notre nouveau médecin que les "vieux" infirmiers n'aiment pas : il cautionne l’idée d'un lit en plexiglas surélevé et fixé au dessus du radiateur. Après une semaine et demie de négociations avec l’administration, Alain s'allonge au chaud et peut regarder par la fenêtre en même temps.
 Tout se passe bien les deux premières semaines. Un matin, il tombe du lit surélevé la tête la première. Urgences. Pas de fracture mais il a le visage marqué par un gros hématome qui descend autour des yeux. Son père en est fou de rage. L'hôpital général nous prévient qu'il est persuadé que des infirmiers l'ont tabassé. Explications sur le choc, sur les patients en traumato accidentés de la route avec les mêmes hématomes autour des yeux en cas de choc frontal.
 Alain retourne sur le radiateur.
 Il est mort un an plus tard : une complication dépistable chez un adulte capable de montrer qu’il a mal au ventre l’a emporté.
 
Enfant ou jeune adulte, il n’a jamais bénéficié de techniques de communication alternative de type PECS (Pictural Exchange Communication System).
 Pendant plusieurs années, j’entendrai des psychiatres s’exprimer dans les médias, fustigeant ces « méthodes qui empêchent la symbolisation d’accès au langage ».
 
Aujourd’hui le 24 avril 2012, un pédopsychiatre médiatique et responsable d’un pôle régional annonce à la presse : « Au fur et à mesure que je progresse dans mon métier, je ne fais plus de diagnostic ; je m’occupe des individus, c’est plus efficace. »
 Comment identifier un besoin spécifique d’apprentissage de la communication sans diagnostic
 ?
 Ces techniques éprouvées existent depuis plus de 40 ans, généralisées…ailleurs. En France, beaucoup les considèrent encore comme du « formatage », comme une volonté de réduire le symptôme à une déficience mécanique et de lui retirer son sens.
 
Stéphane fait des allers retours en Unité pour Malades Difficiles parce qu'avec ces réactions fulgurantes et sa corpulence, plus grand monde n’ose l'approcher. Il aura passé les quinze dernières années en isolement, suite à l’échec d’une psychothérapie qui s’est soldée par un bureau volant.
 Tout jeune, sa mère aura tout mis en œuvre pour lui apporter une éducation adaptée. La maman, culpabilisée et épuisée, ne reviendra pas après ses 18 ans.
 À l’initiative d’un médecin cognitivo-comportementaliste, nous nous appuyons sur ses motivations. Nous l'accompagnons au bloc technique chez le dentiste et la podologue, puis en ville pour avoir des lunettes et des vêtements. Ça change des pyjamas. Il apprécie.
 Ce sont les résultats dûs au comportementalisme.
 Il sait qui va ouvrir sa porte à la façon dont la clé travaille dans la serrure et nous salue alors par nos prénoms avant de nous voir. Il reconnaît des infirmiers à leur façon de marcher même quand ils tentent de maquiller leur démarche. Il n'aime pas être surpris, il restitue des conversations intégrale six ans après, et des comptes rendus partiels de réunions alors qu'il est éloigné d’une quinzaine de mètres et séparé par deux portes fermées.
Stéphane est décédé avant 35 ans, après 27 ans d'hospitalisation, et son diagnostic d’autisme ne sera posé qu’après la trentaine.
 
Karim, autiste de kanner, s'automutile le rectum systématiquement après chaque entretien avec un psychologue les années précédent mon arrivée dans le service. Le psychologue entendait vouloir lui « faire entendre que l’autre existe », et mène des entretiens individuels.
 La vie de Karim prend un tournant en quittant le pavillon une semaine en vacances avec des animateurs. Le Médecin cognitivo-comportementaliste appuie la démarche. Ils sont quatre encadrants pour cinq patients, et en cinq jours ils lui apprennent à trouver les toilettes, et à y aller de lui même. Détaché en permanence, il réapprend à dormir dans un lit.
 Les infirmières du pavillon, en liaison permanente avec ces animateurs, aménagent son retour. Elles synchronisent leurs roulements pour assurer une totale cohérence et que rien ne soit retiré de la chambre. Avec ces changements, Karim trouvera une place dans une structure accueillante en Belgique, mais après une soixantaine de dossiers de demandes en France rédigées par une très vaillante assistante sociale.
 
Le même problème de places s’est présenté pour toutes les personnes avec autisme.
 
Isabelle répète toujours la même chose très près de nos oreilles au point d'exaspérer et d'épuiser des infirmiers endurcis. Elle sera admise dans une structure pour adultes avec autisme après quatorze ans d'attente.
 
Luc arrive à l’hôpital dès cinq ans : à l’entrée, le diagnostic d’autisme est posé.
 Pendant quarante-cinq ans, il ne recevra aucune éducation. Il est toujours hospitalisé.
 

D’où me vient la culture psychanalytique en laquelle je croyais ?
 
J’ai reçu un enseignement exclusif des concepts psychanalytiques freudiens depuis le lycée, enseignés comme base de la psychologie.
 Ces connaissances ont été réactivées et enrichies pendant la formation d’infirmier avec les extensions classiques de Lacan, Winnicott, Dolto et quelques autres.
 Au travail, mon rôle était concret.
 Il m’est cependant arrivé d’utiliser des reformulations basées sur ces connaissances. Elles se sont révélées inadaptées, et j’ai certainement causé du tort à des personnes qui avaient besoin d’une aide différente. Je voudrais qu’elles puissent accepter mes excuses les plus sincères.
 
Bien entendu nous ne sommes pas seuls, certaines situations sont désamorcées dans le cadre d’avis divergents au sein des équipes. La rationalité basique et quotidienne intervient.
 Mais certains magistrats éclatent parfois de rire en lisant certaines expertises.
 Car en revanche, des erreurs se génèrent également en cascade.
 
Est-il admissible que nous décidions de l’avenir d’enfants et d’adultes en négligeant de référer à une certaine objectivité selon des preuves, ou selon des consensus formalisés ?
 
Est-il admissible qu’en l’absence de consensus formalisés nous ne les recherchions pas et nous ignorions ceux qui ont été produits et évalués à l’étranger ?
 
Est-il préférable de nous abriter derrière des conceptions qui laissent une place décisive à l’interprétation subjective alors que nous intervenons dans la vie privée ?
 Est-il recevable que ces analyses de situations ne soient ni récusables ni critiquables ?
 
L’impact de l’action médicale et paramédicale sur la santé, sur la vie intime, familiale, sociale, et professionnelle des personnes, m’incite à considérer comme primordial de travailler selon des preuves et des consensus formalisés.
 
Ayant éprouvé les pratiques basées sur des croyances, j’ai rejoint le KOllectif du 7 janvier pour une psychiatrie basée sur des preuves.
 
http://www.kollectifdu7janvier.org/
 
http://www.netvibes.com/lesmuriens#KOllectif_7_janvier
 
Olivier Bousquet
 Infirmier, parent d’enfant avec T.E.D
 



16/05/2012
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