Moi, autiste, face à la guerre des lobbies.Le monde
LE MONDE |21.03.2012 à 14h27 • Mis à jour le21.03.2012 à 14h39
Par Gabriel Bernot.
Je suis autiste. J'ai reçu ce diagnostic à l'âge adulte alors que nul ne s'était inquiété durant mon enfance. Toutes les personnes que je connais dans ce cas ont, comme moi, suivi des études supérieures et près de la moitié a préparé une thèse de doctorat.
Un miracle ? Non. L'autisme n'était alors pas encore administrativement une "maladie" et si nos proches constataient l'originalité de notre développement - comme la parole débutée à l'âge de 4 ans -, nous avons suivi "incognito" un cursus scolaire ordinaire. Je ne suis pas une exception : notre expérience montre qu'il est possible d'offrir le même avenir que le nôtre à la quasi-totalité des enfants autistes qui ne parlent pas. Les abondants congrès "scientifiques" sur l'autisme font peu d'écho à nos contributions, offrant plus volontiers la tribune aux tenants de théories dont nous avons démontré l'invalidité.
Depuis 2009, aucun de nous n'a été associé aux actions nationales menées au profit des autistes par des collectifs associatifs ou les pouvoirs publics - il apparaît que les responsables politiques ignoraient jusqu'à notre existence. La comparaison a certes ses limites, mais oserait-on, dans les actions menées au profit des personnes homosexuelles, exclure du débat les personnes concernées ?
Le paysage qui entoure l'autisme est composé de deux lobbies. L'un, appelons-le "pro-psychanalyse", décrit nos réussites comme la "désolation caractéristique du vécu intérieur désertique de la psychose" (Jean-François Rey, Le Monde du 23 février). Pour l'autre, dit "anti-psychanalyse", nous souffrons d'une "malformation cérébrale" dont "la preuve ne peut être contestée" (Yehezkel Ben-Ari, Nouchine Hadjikhani et Eric Lemonnier). Ces deux lobbies se rejoignent sur un point : la nécessité de nous soigner !
La Haute Autorité de santé (HAS) a publié le 8 mars un texte influencé par le lobby anti-psychanalyse, qui affirme impossible notre réussite en visant à imposer des "interventions globales précoces" aux enfants comme ceux que nous étions. En réalité, derrière une façade d'"approche éclectique et diversifiée", ces interventions consistent en un conditionnement comportemental intensif de l'enfant à mimer des compétences. Un postulat incontournable du comportementalisme est la non-pertinence des phénomènes mentaux : il refuse donc de stimuler les compétences intellectuelles de l'enfant, lui fermant la porte d'un avenir décent. Les "outils scientifiques d'évaluation" sur lesquels s'appuient ces méthodes et la HAS sont invalides.
Le lobby anti-psychanalyse a l'avantage du nombre : les parents cèdent à la fausse promesse de conformer leur enfant à leur désir de "perfection", permettant au lobby de manoeuvrer la prérogative légale des parents. L'enjeu est de poids : selon les chiffres dont je dispose, ces méthodes représentent un marché entre 15 et 42 milliards d'euros par an.
Ainsi assistons-nous aujourd'hui à un étonnant retournement apparent de situation : le précédent document de la HAS sur l'autisme, publié en 2010, était, lui, dominé par le lobby pro-psychanalyse. La HAS y ignorait déjà nos contributions. Le lobby pro-psychanalyse a l'avantage du terrain : il tient la plupart des "institutions pour autistes". Ce lobby a écarté les parents en les culpabilisant. Ainsi il est plus confortable de justifier par des "théories" le désoeuvrement intellectuel qu'il impose aux enfants : "temps d'errance", "attente de l'émergence du désir d'apprendre de l'enfant", etc., créant précisément ce "vécu intérieur désertique". En 2004, ces dérives avaient justifié la condamnation de la France par le Conseil de l'Europe pour "manquement au devoir d'éducation des personnes autistes".
Si ces deux lobbies s'opposent par leurs théories, leur collusion réelle est profonde. La dialectique pro- ou anti-psychanalyse n'est pas de nature idéologique ou humaniste, mais commerciale et liée à des intérêts personnels. Permettre aux personnes autistes de s'épanouir ou à celles qui sont épanouies de s'exprimer tuerait la poule aux oeufs d'or. La HAS semble avoir préféré privilégier les intérêts des "soignants" au détriment tant de l'Etat (le coût des soins) que des patients. Elle a préféré risquer un abus de pouvoir en accaparant des compétences en matière d'éducation, qui relèvent pourtant des prérogatives du Conseil supérieur de l'éducation, pour protéger les intérêts des professionnels du soin.
Dans une démarche similaire, la HAS avait publié en 2009-2010 des travaux abordant l'éducation linguistique des enfants sourds, alors que l'enseignement de la langue des signes relève du Conseil supérieur de l'éducation. Les implants cochléaires, outre qu'ils répondent au "désir d'enfant parfait" des parents d'enfants sourds, favorisent les intérêts des chirurgiens ORL - bien représentés au Parlement. La langue des signes nuit à ces intérêts financiers même si elle facilite l'épanouissement intellectuel des enfants sourds, comme le montre la remarquable thèse de doctorat du regretté Cyril Courtin, travail lui aussi connu mais occulté par le système sanitaire : son auteur, un universitaire plus gradé que la plupart de ses interlocuteurs, était considéré comme déficient par ces médecins "experts" puisqu'il était sourd ! Ici apparaît à nouveau l'usage détourné du statut d'"expert du système de soins", favorisant les intérêts des "experts" eux-mêmes, sous couvert d'un humanisme condescendant.
Gabriel Bernot, membre de l'association Spectre autistique, troubles envahissants du développement- International (Satedi)
SYHNTHESE ET REACTION DU COLLECTIF SOUTENONS LE MUR
Le Monde a publié le 21 mars 2012 une tribune de Gabriel Bernot, membre de l’association Spectre autistique, troubles envahissants du développement- International (Satedi), qui regroupe des autistes de haut-niveau.
Gabriel Bernot explique qu’il a fait des études supérieures et qu’il a été diagnostiqué à l’âge adulte. Dès lors, cet article doit être lu au travers du prisme déformant de la personnalité autiste (parfois égo centrée) et de sa difficulté à se mettre dans la peau des autres, par exemple, ici, sa difficulté à prendre en compte les besoins des enfants les plus en difficulté.
Cette tribune manque de rigueur. Le « nous » utilisé dans l’article est gênant. Par exemple, « Les abondants congrès « scientifiques » sur l’autisme font peu d’écho à nos contributions, offrant plus volontiers la tribune aux tenants de théories dont nous avons démontré l’invalidité. » Ce propos péremptoire n’explique ni qui est le nous, ni par qui, comment ou où les théories auraient été démontrées comme invalides. Par ailleurs, Gabriel Bernot écrit : « les « outils scientifiques d’évaluation » sur lesquels s’appuient ces méthodes et la HAS sont invalides. » Or il n’explique à nouveau pourquoi il le seraient, d’autant que l’emploi du consensus formalisé et de la méta-analyse sont des méthodes scientifiques solides pour évaluer la recherche.
Plus loin, Gabriel Bernot fait preuve de radicalisme en écrivant : « Les implants cochléaires, outre qu’ils répondent au « désir d’enfant parfait » des parents d’enfants sourds, favorisent les intérêts des chirurgiens ORL ». Si on poursuit l’analyse, toute prothèse serait inutile et instrumentalisée par un lobby. Ce n’est pas sérieux !
En fait, c’est son analyse sur la présence de lobbys médicaux qui permet de comprendre le fond de sa revendication : « Le paysage qui entoure l’autisme est composé de deux lobbies. L’un, appelons-le « pro-psychanalyse », décrit nos réussites comme la « désolation caractéristique du vécu intérieur désertique de la psychose » (Jean-François Rey, Le Monde du 23 février). Pour l’autre, dit « anti-psychanalyse », nous souffrons d’une « malformation cérébrale » dont « la preuve ne peut être contestée » (Yehezkel Ben-Ari, Nouchine Hadjikhami et Eric Lemonnier). Ces deux lobbies se rejoignent sur un point : la nécessité de nous soigner ! »
La revendication est donc d’accepter la différence et d’avoir une scolarité normale.
« Nous avons suivi « incognito » un cursus scolaire ordinaire » écrit-il.
Cette position louable, proche du laissez-faire, n’a pourtant aucun sens car elle est égo-centrée et ne prend pas en compte les troubles du comportement ou les situations de retard intellectuel grave qui sont parfois observées, ainsi que les conditions co-morbides typiques de l’autisme (THADA, Epilepsie, Dyspraxie, etc).
Olivier Bousquet, l’un de nos membres, réagissait très justement sur Facebook en écrivant : « Si vous vous en sortez tout seul Gabriel Bernot, tant mieux pour vous. Ce n’est pas le cas de beaucoup d’autres. Et rassurerez vous, un enfant avec ou sans TED avec un gros potentiel n’a pas besoin de longtemps pour progresser avec avec une méthode fût elle comportementaliste. Il y a autant de risque de « robotisation » que de risque de le transformer en « chimpanzé » selon l’expression discriminante d’un avocat. Pour les autres, cela peut leur sauver la vie pour leur apprendre à communiquer et les rendre plus autonomes. »
Si telle est le crédit de la parole de l’association SATEDI, alors oui, il n’est pas surprenant que leurs contributions soient ignorées. Cette tribune n’est pas sérieuse et ce n’est pas à l’honneur du journal Le Monde d’avoir publié cet article sur son site.
A découvrir aussi
- RTBF.BE.INFO TITRE : Bruxelles: manque de place criant pour les personnes souffrant d'autisme
- Autisme : les patients et leurs familles ont droit à une prise en charge par des méthodes et traitements validés
- Mon petit frère est handicapé mental : on oublie que nous, la famille, on en bave
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 5 autres membres